Droit d’auteur en Suisse: un outil important
Les enjeux du droit d’auteur sont complexes et concernent de nombreux intervenants aux intérêts divers et parfois opposés. Le travail législatif a toujours reposé sur la recherche d’un subtil équilibre bénéficiant à tous. À l’heure de la numérisation croissante, une révision du droit en vigueur est désormais nécessaire; les différentes parties prenantes l’ont rendue possible.
La protection des œuvres et des droits de l’auteur apparaît relativement tardivement dans notre pays. Alors que les États-Unis l’inscrivent à l’article premier de leur Constitution en 1787, ou que la France la consacre dès la révolution de 1789, la Suisse laisse les cantons agir durant la plus grande partie du XIXème siècle.
Ceux de Genève, héritier du droit français, du Tessin ou de Soleure ont été les plus précoces en la matière. Il faudra finalement attendre la Constitution de 1874 pour que «la propriété littéraire et artistique», telle qu’on la nommait à l’époque, devienne une compétence de la Confédération. Enfin, en 1883, la Suisse se dote de sa première loi sur le droit d’auteur – un siècle après les précurseurs.
À cette époque, les législations nationales dans ce domaine se sont multipliées. Très vite apparaît une problématique nouvelle, celle de la reconnaissance internationale de ces différents droits. Et c’est en Suisse qu’un tournant décisif se produit en 1886, avec l’adoption de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques. Celle-ci reste, encore aujourd’hui, la base reconnue au niveau mondial du droit d’auteur.
Principalement inspirée du droit français, elle consacre deux principes fondamentaux. D’une part, en dépit de son nom, c’est bel et bien le droit de l’auteur d’une œuvre qui sera garanti. D’autre part, ce droit prend naissance dès la «fixation de l’œuvre sur un support matériel». Autrement dit, il est inhérent à la création artistique et ne nécessite donc pas d’enregistrement, contrairement au droit applicable aux marques et brevets par exemple.
La Suisse: exemple de longévité
Le droit suisse a rarement évolué depuis. À la loi de 1883 a succédé celle de 1922, puis, finalement, celle de 1992. De telles longévités dans un domaine pourtant fondamental au niveau mondial ont de quoi impressionner. L’explication est davantage à trouver dans la nécessité toute helvétique de consensus: une révision nécessite de concilier les intérêts parfois divergents d’auteurs, de producteurs, de consommateurs ou du monde de la culture par exemple. L’exercice est souvent complexe et lent, mais il a au moins pour mérite de déboucher sur des dispositions largement acceptées.
Cependant, depuis la fin du XXème siècle, le monde a connu une mutation quasiment sans précédent avec la démocratisation de l’informatique à large échelle. Tant la réalisation que la reproduction ou la diffusion d’une œuvre se retrouvaient fondamentalement transformées. D’abord considérée comme une menace, la numérisation offre pourtant également un potentiel important que le droit actuel ne permet pas d’exploiter pleinement. Et si la loi sur le droit d’auteur a connu une révision partielle en 2008, une adaptation à l’évolution technologique était devenue aujourd’hui nécessaire.
Un groupe de travail dénommé Agur12
C’est dans ce but que le Département fédéral de justice et police (DFJP) a instauré un groupe de travail dénommé Agur12, ayant pour but d’élaborer des recommandations acceptables pour l’ensemble des parties prenantes, pour moderniser le droit d’auteur. Sa mission était d’autant plus complexe qu’il devait intégrer, outre les parties prenantes traditionnelles, des acteurs comme le monde académique ou les fournisseurs d’accès internet, que l’essor de l’informatique avait rendu directement concernés.
Ce groupe de travail a su aboutir à un compromis équilibré, où aucune partie prenante n’a imposé sa vision et ses revendications, mais où chacun a pu intégrer ses préoccupations fondamentales et accepter, in fine, l’équilibre trouvé.
Le droit suisse reconnu protecteur et efficace
L’enjeu principal de cette révision était de pouvoir lutter contre le piratage, mais sans criminaliser les consommateurs. Par exemple, le compromis trouvé exige, à l’instar du Code de conduite de Swico, l’association professionnelle pour le secteur des TIC et d’internet, que les fournisseurs d’hébergement internet agissent pour retirer le contenu qui violerait le droit d’auteur. Cette exigence est accompagnée d’une obligation supplémentaire pour les fournisseurs particulièrement exposés à des violations, qu’ils empêchent également de remettre en ligne les contenus illicites déjà retirés. Un tel effort permettrait de mettre un terme, ou, du moins, de réduire considérablement le jeu du chat et de la souris qui règne trop souvent sur internet, et où, à peine retiré, un contenu illicite réapparait immédiatement sous une autre adresse.
De telles mesures sont nécessaires, non seulement pour garantir le plein exercice du droit d’auteur et des droits voisins, mais également que le droit suisse soit reconnu comme suffisamment protecteur et efficace en comparaison internationale. Cela assure non seulement la place de notre pays dans le monde culturel, mais permet également de se prémunir contre d’éventuelles mesures de rétorsion qui pourraient, à terme, toucher les juridictions laxistes en la matière.
La numérisation rend tout plus sûr, plus rapide et plus facile
Mais l’objectif du groupe de travail Agur12 était également de moderniser le droit d’auteur, non pas uniquement pour lutter contre les abus, mais aussi pour pouvoir tirer avantage du potentiel du monde numérique. Un exemple suffit à en illustrer ce but et la nécessité d’adaptation: celui des bibliothèques.
Ainsi, au siècle dernier, la recherche d’un ouvrage au sein d’une bibliothèque pouvait nécessiter un effort relativement lourd qui consistait à éplucher de nombreuses fiches cartonnées pour tenter d’identifier celui qui pourrait être intéressant. Puis, après avoir reposé la fiche et retrouvé ledit ouvrage parmi de vastes étagères, on s’apercevait alors si, oui ou non, le pari était payant, et si la recherche avait permis de déboucher sur un résultat probant ou sur un livre sans grand intérêt.
Puis vint la démocratisation de l’informatique, reléguant les fiches cartonnées et autres cartes perforées au rebut et offrant aux utilisateurs la possibilité d’accéder à un catalogue électronique et de rechercher instantanément parmi l’ensemble de la collection les objets correspondant non seulement à un auteur ou un titre, mais également à différents mots-clés.
Aujourd’hui, la digitalisation nous offre des possibilités encore plus vastes, et il est techniquement aisé d’établir un inventaire reprenant non seulement les caractéristiques des ouvrages, mais également des reproductions partielles de ceux-ci. Grâce au compromis établi par le groupe de travail Agur12, la nouvelle loi sur le droit d’auteur permettra un tel usage, non seulement pour les bibliothèques, mais également pour les musées, les archives ou encore les établissements d’enseignement. Ce nouveau droit offrira ainsi des possibilités importantes pour le consommateur.
Cet exemple illustre d’ailleurs également la complexité de la recherche de solution: au-delà des seuls créateurs et consommateurs se trouvent de nombreuses activités économiques qui doivent être inclues dans la réflexion.
La Suisse pionnière en matière de droit d’auteur
Le compromis trouvé par Agur12 offre la perspective de véritables avancées dans l’intérêt de toutes les parties concernées. Ses propositions ont été reprises par le Conseil fédéral dans l’élaboration du projet qu’il a transmis au Parlement en novembre 2017. Les travaux législatifs avancent, et les deux Conseils ont eu l’occasion de terminer chacun sa première lecture. L’objet est désormais au stade de l’élimination des divergences. Si les élus en reviennent aux mesures qui ont été discutées et acceptées par l’ensemble des milieux concernés, la Suisse est désormais en passe de se doter d’une loi moderne et efficace en matière de droit d’auteur!