À son arrivée en Suisse, en 2012, la cigarette électronique a commencé par dégager une agréable odeur de sécurité, parée, sinon des plumes du paon, de tous les avantages d’une sécurité accrue par rapport à la cigarette traditionnelle. À la porte, les goudrons, les nitrosamines, les hydrocarbures et le terrible monoxyde de carbone, tous serviteurs de la Grande Faucheuse!
Jean-Charles Kollros
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Sept ans plus tard, la vapoteuse est priée d’enlever son masque souriant pour montrer sa véritable nature, elle aussi dangereuse pour la santé. De sécure, l’e-cigarette devient insécure. Alors que plusieurs décès lui ont été imputés aux États-Unis, de même qu’une épidémie, un vif débat médical, mais aussi sociétal, se développe un peu partout dans le monde. Et la Suisse n’échappe pas à la problématique, bien au contraire tandis que nos voisins belges ont déjà enregistré le décès d’un jeune vapoteur de 18 ans.
De quoi parle-t-on? La cigarette électronique (ou vapoteuse ou e-cigarette) est le nom désignant des générateurs d’aérosols dont la forme peut rappeler celle d’une cigarette (point qui fait lui-même débat) et servant à diffuser de la fumée artificielle aromatisée, contenant ou non de la nicotine.
Les cigarettes électroniques ont été considérées dans un premier temps comme une aide pour arrêter de fumer. Les récents problèmes de santé rencontrés aux États-Unis, notamment, remettent en question le bien-fondé de cette «mission». De fait, en l’état actuel des connaissances scientifiques, des incertitudes demeurent à propos de ses effets sur la santé et les querelles d’experts se multiplient aux quatre coins de la planète.
Des décès qui interpellent aux États-Unis
Très concrètement, l’alerte sanitaire lancée aux États-Unis concernait en fait une épidémie de pneumopathies sévères chez des vapoteurs. Cette alerte a été diffusée par les Centers for Diseases Controls (CDC) et les centres de contrôles sanitaires en date du 29 septembre 2019. Au 1er octobre 2019, 1080 cas, dont 18 décès, ont été enregistrés. Dans la foulée plusieurs organismes, dont Santé Publique France, ont fait remarquer que ni les CDC ni la fameuse Food and Drug Administration (FDA) n’avaient avancé d’explication certaine quant à l’origine de ces pneumopathies sévères. La France a toutefois jugé utile, même en l’absence d’épidémie, de renforcer le dispositif de surveillance des cas suspects de pneumopathies sévères liées à l’utilisation de la cigarette électronique.
Comme l’ont démontré dans un passionnant reportage nos confrères du Matin Dimanche, tout est parti de la panique déclenchée par un premier décès lié au vapotage enregistré dans l’Illinois et suivi d’une dizaine d’autres. Les parents de lycéens tirant des vapeurs de Coca et de mangue sur leur Juul, Blu et Njoy ont sonné le tocsin et interpellé les autorités avec une extrême virulence. Résultat des courses: l’interdiction immédiate de tout arôme autre que celui de tabac ou de menthol.
Un premier décès enregistré en Belgique
En Europe, aucun décès n’a été signalé dans un premier temps mais la panique qui a déferlé sur les États-Unis a bien failli entraîner la mort clinique du marché du vapotage, depuis lors très amoindri. De nombreux médias ont signalé la fermeture de boutiques de vapotage aux quatre coins du Vieux-Continent tandis que le journal «Les Échos» a fait mention d’une baisse oscillant entre 10 et 40% des ventes. En Suisse, le Vapors Saloon, reconnu comme le plus grand distributeur indépendant de Suisse romande, a fait état d’une chute de plus de 30% en moins de trois mois. Et les cantons du Valais et de Bâle-Campagne ont été plus loin encore en décrétant l’interdiction pure et simple de la vente d’inhalateurs de nicotine aux mineurs.
Les choses se sont accélérées en fin d’année avec l’annonce d’un premier décès européen clairement attribué au vapotage: un Belge de 18 ans a été déclaré mort à cause de l’e-cigarette par la ministre belge de la Santé, Maggie de Block. Les investigations menées dans la foulée ont démontré que la vapoteuse du défunt aurait contenu du CBD (cannabis légal) mélangé à un autre produit vendu illégalement.
Les tenants de la e-cigarette ne baissent pas pour autant les bras et font remarquer que ce n’est pas le système qui doit être remis en cause mais les contenus choisis. Il est en effet apparu que les personnes victimes auraient inhalé, de manière volontaire ou accidentelle, des produits huileux contenant du cannabis. En clair: les personnes malades n’auraient pas été contaminées par les liquides prévus pour leur vapoteuse – contenant surtout du glycol et de la glycérine – mais en y plaçant des produits qui ne sont pas faits pour ce genre de système électronique.
Fumer ou vapoter le cannabis?
Dans ce contexte, une hypothèse est actuellement fortement discutée au sein des milieux médicaux et plusieurs spécialistes en font régulièrement état sur les plateaux de télévision. Ces experts expliquent que, dans le cas d’une vapoteuse, les substances ne sont pas brûlées – et donc pas détruites –, à l’inverse de ce qui se produit avec un joint, mais chauffées à basse température. Cette singularité pourrait dès lors accroître l’hypothèse selon laquelle certaines substances contenues dans les produits du cannabis seraient nocives lorsqu’on les vapote mais pas lorsqu’on les fume.
L’industrie de la vapoteuse et de ses produits dérivés profite du débat et n’hésite pas à faire remarquer que les problèmes rencontrés aux États-Unis sont non seulement imputables au seul cannabis mais encore constituent une mini-goutte d’eau dans un océan face aux 5 millions de décès dus au tabac chaque année dans le monde. Plusieurs spécialistes rappellent aussi que la cigarette dite classique est à l’origine de plusieurs dizaines de maladies et qu’elle constitue la première cause de mortalité prématurée dans les pays développés.
Un premier cas suisse enregistré
En Suisse, un premier cas de maladie dû à l’e-cigarette a été enregistré également en 2019. Une patiente de 44 ans a été admise à l’hôpital cantonal de Winterthour, atteinte par de graves problèmes respiratoires. La femme était sujette à des essoufflements, des expectorations et souffrait d’une très mauvaise fonction pulmonaire au moindre effort. Investigations faites, il est clairement apparu que la patiente était une grosse consommatrice de l’e-cigarette. Ses médecins ont dès lors suspecté que la vapoteuse soit la cause des problèmes de santé rencontrés par la patiente.
L’enquête médicale a par ailleurs révélé que la femme hospitalisée fumait un produit absous de nicotine, contenant des arômes provenant du commerce suisse habituel.
Une fois encore, en l’état actuel des choses, la science est bien désarmée face aux effets de l’inhalation. De plus, les produits vendus sur internet échappent à tout contrôle. Dans ce contexte, on attend beaucoup de l’étude menée en Suisse à l’enseigne ESTxENDS, financée par le Fonds national pour la recherche scientifique afin de tester la toxicité réelle de la vapoteuse et son efficacité pour arrêter le tabac. Les partenaires de cette étude sont l’Institut de médecine de famille de l’Hôpital de l’Île, à Berne, les HUG, Unisanté et plusieurs autres centres, surtout en Suisse alémanique. Ses résultats auront des effets sur la santé, le commerce mais aussi la législation et les décisions politiques du futur.
À qui donc profite le crime?
Tous ces éléments font donc que l’e-cigarette est aujourd’hui jugée plus ou moins dangereuse pour la santé, donc insécure plutôt que sécure mais on ne peut pas vraiment dire pourquoi. Et d’aucuns se plaisent à crier haro sur le baudet tandis que d’autres font remarquer que la polémique pourrait bien profiter à l’industrie du tabac qui pourrait ainsi éliminer une concurrence non négligeable. De nouvelles règles, plus strictes, vont sans doute accroître les barrières entourant l’e-cigarette. Enfin, du côté des politiques, on parle d’une nouvelle loi fédérale qui pourrait apparenter la vape au tabac et non au sevrage, avec d’ores et déjà des avis très antagonistes sur la question. Enfin, on trouve en embuscade un autre acteur du débat: le tabac chauffé façon Iqos, groupe discret mais efficace déjà bien implanté sur plusieurs continents.
Le dossier n’est de loin pas bouclé et seules de nouvelles données scientifiques permettront de définir l’avenir de la vapoteuse. La morale de l’histoire est cependant révélatrice de notre époque car elle symbolise l’histoire d’une invention voulue sécuritaire mais peu à peu entachée d’insécurité.